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Mémoire de Père Élie sur Mgr Athanase

Mémoire de Père Élie sur Mgr Athanase

Monastère Petropavlov, 25 novembre 2023

Geronda, comment avez-vous connu Mgr Athanase ? Comment s’est nouée votre amitié pour lui ?

Nous étions déjà amis avec le Père Amphilokije. Un jour, nous sommes venus avec une famille et des enfants en bas âge, nous nous étions rendus au patriarcat pour y rencontrer ce Père Amphilokije. Mais, arrivés sur place, nous apprenons, sans plus de précision, qu’il était parti. Nous étions quelque peu dépités, lorsque tout à coup, dévalant des escaliers, nous avons aperçu un autre moine qui nous apostropha, de sa forte voix de stentor, pour nous dire : « Eh bien ! Vous cherchez Amphilokije ? Il est parti ! Il n’est plus là ! Il est devenu évêque ! Il se trouve désormais à Virtchav ! » Telle fut notre première rencontre avec Père Athanase et, comme nous étions entourés de petits enfants, ce n’est pas à moi mais à eux qu’il s’est d’emblée adressé : « Vous savez, je suis une mouette ! Oui, une mouette ! Mais je suis aussi une grenouille ! Coâ !Coâ ! Coâ !» Le tout, accompagné de force gestes et mouvements, comme pour confirmer ces métamorphoses fantasques et répétées ! Oui, telle fut notre première entrevue avec ce géant spirituel !Mais c’est seulement après que nous avons compris que cet homme étrange était bien ce Père Athanase, dont je connaissais le nom, sa réputation de théologien étant déjà bien établie. Il n’y eut pas, ce jour-là, d’autres échanges, car il était fort pressé. Nous nous sommes rendus à Virtchav pour le rencontrer, et c'est comme cela qu’a commencé notre amitié.

Est-ce qu'il est venu vous rendre visite, en France, en votre monastère de la Transfiguration ?

Oui, une fois ; il venait du sud de la France et remontait vers Paris. Il s'est donc arrêté chez nous, a dormi dans une des chambres du monastère. Nous lui avions préparé, avec beaucoup de soin et de joie, une cellule avec un bon lit. Nous l’y conduisons, il entre, regarde, et nous dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce lit ? Tu m’enlèves ce lit ! Et enlève ces draps ! Je n’ai pas besoin de ça, moi ! Et puis les pieds du lit doivent être surélevés par rapport à la tête ! » Bref, nous avons mis une bonne demi-heure pour préparer autrement sa chambre !

Notre amitié s’est surtout affermie pendant la guerre que vous avez connue, à la fin des années 1990. Notre monastère français de la Transfiguration s’est senti, malgré les virulentes campagnes de désinformation auxquelles nous étions livrés, solidaire des chrétiens orthodoxes serbes. Trois évêques serbes : Athanase, Amphilokijé et Artémijé venaient tous les ans, à tour de rôle, à Paris. J’y avais rencontré Artémijé, et lui avais demandé de quoi son peuple avait besoin ; il me répondit que le mieux serait de porter des médicaments. Aussi nous sommes-nous organisés pour collecter et apporter, à deux reprises et malgré l’embargo, du matériel médical et des médicaments. Dans notre pays, nous sommes devenus connus pour l’aide que nous apportions aux Serbes, c’est ainsi, par exemple, qu’un dentiste nous a fait un don de matériel professionnel. Nous sommes venus sur place, accompagnés et aidés de deux fidèles du monastère. La première fois, nous sommes allés à Gračanica, où Vladica Athanase remplaçait Mgr Artémijé. A partir de ce moment s’est noué un autre degré d’amitié entre nous. Je me revois à Gračanica, en- dessous du konak, Athanase me prenant par le bras, le serrant avec force et autorité, comme il savait le faire, et me disant : « Puisque tu es Serbe, je vais t’expliquer des choses. » Je me suis senti honoré d’entendre cela ! Et il m’a fait une présentation de la situation politique et militaire du moment.

Une seconde fois, nous avons transporté des médicaments à Tvrdos. Notre arrivée, mi-comique et mi-tragique, mérite d’être racontée ! Nous avions une camionnette, chargée tout de même d’une tonne et demie de médicaments. Au téléphone, avant que je parte de France, Vladica Athanase m’avait donné forces recommandations – le pays était en guerre ! « Quand tu arriveras à Nikchitch, tu demandes madame Sistera, je crois, tu me téléphones, et je te dirai ce qu’il faut que tu fasses pour venir à Trebinje. » Parvenu à Nikchitch, je lui téléphone, et il me dit de continuer la route, jusqu’à un premier poste-frontière où j’aurai à montrer mes papiers, après quoi deux militaires monteraient avec moi dans ma camionnette. Et c’est ce qui s’est passé ; les militaires sont montés, tout armés ; je ne me sentais plus très libre ! Vladika m’avait encore dit de partir avec eux, puis de prendre encore deux autres militaires quelques kilomètres plus loin, et de rouler jusqu’à la frontière : « Là, tu montreras tes passeports, et tu attendras qu’on vienne te chercher ; ce sera avec une voiture rouge. Seulement une voiture rouge, hein ! Pas une autre ! La voiture rouge ! Surtout, tu ne montes que dans une voiture rouge ! » Je ne me sentais pas très à l’aise ! Cette route qui descend de Nikchitch est une gorge ; un ancien restaurant y faisait fonction de poste- frontière. Je donne mon passeport, toujours accompagné de mes quatre militaires armés jusqu’aux dents. Je scrutais avec fébrilité le proche horizon : pas la moindre voiture rouge en vue ! Et soudain arrive, en face, une voiture … blanche ! Un moine en descend et me dit : « Je suis envoyé par Mgr Athanase pour te conduire à Trébinjié. » Je lui réponds, tout en m’efforçant de maitriser ma peur : - « Non, non, non, j'attends une voiture, mais une voiture rouge ! » Le moine insiste : « Si, si, il faut y aller, il faut venir, les douaniers ne peuvent pas nous garder ! » Le chauffeur, descend et me dit, pour conjurer mon anxiété, « Je m’appelle … et je suis originaire de … » et il prononce alors un nom italien dont je ne me souviens plus. La panique s’emparant de moi, j’ai cru qu’il me donnait le nom d’une ville croate, et que j’allais me retrouver pris dans un guet-apens : cette voiture blanche et non point rouge que l’on m’ordonnait de suivre avait sans doute reçu pour mission de me kidnapper… ! Vous voyez : vous, vous êtes des familles de héros, mais moi, je ne suis pas un héros ! Quoi qu’il en soit de mes frayeurs, c’était trop tard, j’étais embarqué, il me fallait suivre ! Et à chaque virage, j'espérais entrevoir quelque voiture rouge qui se serait cachée… Vous savez, dans un tel état d’inquiétude, on imagine plein de choses qui se révèleront infondées !

Enfin, nous arrivons à l'entrée de Trebinjié. Deux soldats descendent vers nous …La situation me semblait devenir un tout petit peu meilleure : nous avions bien roulé, apparemment, en direction du monastère… Il faut vous dire que sur la route qui était longue, j’avais eu le temps de faire mijoter mes peurs, et même, de transmettre toutes mes recommandations à mon compagnon de voyage : « J'ai caché ceci dans la voiture, j’ai caché cela. Quand tu reviendras en France, si toutefois tu y reviens, tu diras telle et telle chose… ». On continue, on approche davantage encore de Trebinjié, dont je savais qu’Athanase en était l’évêque, et cela me rassurait. Mais voilà que la voiture blanche ne ralentit pas, continue à rouler, fait le tour de la ville, franchit une rivière, et s’éloigne de plus en plus du centre. L’angoisse me ressaisit, plus forte que jamais : j’avais imaginé, en effet, que l’évêché se trouverait au centre-ville. Or, on continue à rouler, à s’éloigner, on s’engouffre sur la route de Dubrovnik. Alors, cette fois-ci, j’étais sûr d’avoir été pris au piège, certain que l’on me conduisait dans des terres ennemies. Je fis le signe de croix en disant :

« Seigneur. Je te donne mon âme ! » Et je me retrouve à un poste militaire, avec sacs desable, mitrailleuses et herses … Panique, angoisse ! On me fait signe de suivre encore cette maudite voiture blanche et de passer. Je m’écrie :

« Non ! Non ! Je vais à Trébinjié ! » Je reste sur place, ceux de la voiture blanche ont dû descendre et me supplier, cherchant à me convaincre et, à défaut, de me contraindre : « Mais tu es à Trébinjié ! Trébinjié, c’est partout ! Ici, tu te trouves dans un quartier de Trébinjié, à Tvrdos. »

Et à ce moment-là, en entendant ce nom, je me suis rappelé que Vladika m’avait dit qu'il m'attendrait à Tvrdoš ; je me suis un tout petit peu calmé, ce nom ne m’étant pas inconnu. Nous sommes parvenus en haut d’une côte, avant de redescendre en direction du monastère. Vous vous souvenez comment était, alors, ce monastère : il n'y avait pas de plantation, juste une route qui descendait vers un grand mur, très haut, comme une forteresse.Et, arrêté devant ces imposantes murailles, ma panique est revenue : j'ai pensé qu’on me conduisait en prison ! J’aurais voulu garer ma camionnette tout en haut, afin de pouvoir m’enfuir plus vite, si besoin était, mais on m’ordonna de continuer et de la mettre en contrebas, ce que je fis, n’ayant pas le choix. Nous avons contourné un mur, le chauffeur de la voiture blanche est passé avantmoi et, quelques pas plus loin , j'ai entendu cette voix que je connaissais bien : « Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! T’as eu peur, hein ? ». C’était Vladica Athanase !

Je n’ai jamais eu d’explication sur la soi-disant voiture rouge ! Je pense que cela s’inscrit doit s’inscrire dans la liste des facéties et farces de Monseigneur Athanase !

Une autre fois, et au cours d’un autre voyage avec plusieurs jeunes de fidèles de notre monastère, certains étaient encore mineurs et la plus petite n’avait que 13 ans, nous logions à Tchétinjié, et c’était encore la guerre. Vladica Amphilokijé nous demande : - « Voulez-vous aller voir Athanase ? » - « Avec joie ! » lui dit-on ! C'était audacieux pour nous Français, contre l’avis des parents, d'avoir amené des enfants ici. Et nous avions promis que nous ne prendrions aucun risque ! …

Quand nous sommes arrivés sur place, nous avons dit à nos jeunes qu’ils pouvaient laisser leurs affaires dans le monastère, qu’il n'y avait pas de problème. En revanche, je leur répète, avec insistance, ce que je leur avais déjà dit et répété en France : il faut toujours garder sur soi ses papiers, son passeport. Sauf que la plus jeune, du haut de ses 13 ans, n'avait pas retenu cette recommandation, pourtant capitale !

Nous arrivons à la frontière avec l’Herzegovine, je demande les passeports pour les donner aux douaniers, et notre benjamine me dit : « Mais je ne l’ai pas mon passeport ! » - « Où est-ce qu’il est ? » - « Dans les bagages ! » Je croyais qu’il s’agissait des quelques bagages se trouvant dans la voiture, mais non : elle parlait des affaires laissées chez Monseigneur Amphilokijé ! Une juste colère montait en moi, et j’informe notre guide Serbe de la situation : « Nous avons un problème. » - « Non, non, il n'y a pas de problème » me rétorque-t-il - « Mais si, il y a un problème ! » - « Je vous dis qu’il n’y a pas de problème ! » … Nous arrivons à la frontière, et donnons nos papiers : 8 passeports pour 9 personnes … Le douanier compte, je ne sais comment, et nous laisse passer. Mais il nous faut encore franchir le second poste-frontière, et les données n’ont évidemment pas changé. Je redis à notre guide qu’il y a problème, il me répond à nouveau qu’il n’y en a pas. Et, de fait, le douanier prend tous nos documents, monte dans la voiture, compte toutes les personnes … et nous laisse passer ! Et c’est ainsi que, sans avoir rien compris, mais après bien des émotions, nous arrivons à Tvrdos, avec un enfant clandestin, et dans un pays politiquement ennemi …

Nous allons prendre la bénédiction de Monseigneur Athanase, je lui confie notre problème, qui demeure préoccupant pour la suite de notre périple et notre retour. « Ne te tracasse pas, on verra après ! » Et il nous fait servir boissons et collation, après quoi, il me prend tout seul dans la cour du monastère. « Quel est ton problème ? » Et, à mesure que je le lui expose, je le vois blêmir ; or, vu le teint de peau de Vladica, il fallait que l’enjeu soit particulièrement grave pour qu’il parvienne à pâlir ! « On va voir comment on fera demain, après la Liturgie » me dit-il. Le lendemain, après la Liturgie, tous noss jeunes étaient restés calmes : il n’y avait qu’Athanase et moi qui mesurions la gravité de la situation. Le lendemain, il fit partir une autre voiture, conduite par un moine, Père Maxime ou Père Grégoire, je ne sais plus, dans laquelle prit place notre fille sans-papier. Ils ont tous pris la direction de la montagne, empruntant une piste qui n’était plus utilisée que par des contrebandiers, pendant que nous, nous circulions sur la route officielle, et c’est ainsi que nous nous sommes tous retrouvés de l’autre côté de la frontière.

Au cours de ce même voyage, le même jour, Vladika a voulu que nous nous rendions à Zavala ; sur place, notre guide fut Père Basile. Avant d'arriver, on nous a fait garer notre voiture derrière une butte en terre, pour ne pas être visibles à partir du monastère. Nous sommes descendus du véhicule, respectant les consignes en faisant le moins de bruit possible. Nous sommes allés à pied vers le village presque totalement détruit, enjambant descaisses de munitions, nous faufilant entre des camions militaires brûlés, et nous sommes parvenus aux abords des bâtiments. Vous voyez la situation ! Il y avait même un trou de bombe qu'il nous fallut contourner et le sol était jonché de restes de grenades … A un moment donné, Père Basile nous dit : « Maintenant, vous me suivez en marchant en file indienne » ce que nous avons fait pendant 50 mètres dans des rochers, à côté de la route … Monseigneur Athanase s’était rendu sur ces mêmes lieux quelques jours auparavant, accompagné par des militaires qui étaient ses enfants spirituels, pour déminer et tracer un chemin d'un mètre de large. Les enfants ne devaient pas s’en écarter, et mettre leurs pas là où Père Basile avait posé les siens ; c’était la première fois qu’ils côtoyaient un danger et tous se sont montrés obéissants et sérieux.

Arrivés au monastère de Zavala, Père Basile nous invite à nous rendre à l’église, sans s’en éloigner si peu que ce soit, car il restait des mines partout. L’église avait été bombardée et des étais en bois la soutenaient péniblement. C’était impressionnant pour tout le monde, et plus encore pour nos jeunes. Et c’est dans cette atmosphère de guerre et de mort que nous sommes allés vénérer les icônes épargnées par la guerre ; par terre se trouvaient de nombreux morceaux de cierges, les enfants les ont ramassés et rassemblés avant de les allumer et de les poser partout dans l’église qui devint alors comme illuminée : nous avons chanté les stichères de Pâques. C’était vraiment la résurrection après la mort, une expérience exceptionnelle, inoubliable.

En ressortant, nous sommes allés jusqu’au clocher. Et évidemment, il y a eu un enfant qui voulut faire sonner la cloche. Père Basile le vit, bondit et s’écria : « Non, non, non ! « Ils » vont nous tirer dessus ! »

Vous le voyez, ce sont toutes ces choses-là, qui pourraient paraître anecdotiques, qui nous ont beaucoup rapprochés. Elles montrent la confiance et l’amour que Vladika Athanase avait pour nous.

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